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jacques sapir - Page 12

  • Bonnets rouges...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue percutant de Jacques Sapir, cueilli sur son blog RussEurope et consacré au vent de révolte qui se lève en Bretagne. Il est difficile de croire que la demi-mesure prise par le gouvernement Ayrault, la suspension de l'écotaxe, réussisse à éteindre ce début d'incendie...

     

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    Bonnets rouges...

    On sait, peut-être, que ce nom recouvre l’une des plus grandes révoltes de l’Ancien Régime, qui survint en Bretagne sous le règne de Louis XIV en 1675[1] et qui fut l’une des grandes révoltes populaires, annonciatrice de la Révolution de 1789[2].

    Les bonnets rouges, on les a vus ressurgir en Bretagne, et en particulier ce samedi 26 octobre lors des manifestations qui ont eu des suites tragiques (un blessé avec une grave blessure au cou, un autre avec une main arrachée). Si ces manifestations ont clairement tourné à l’émeute, c’est qu’elles ne font que témoigner du désespoir d’une partie de la population. La Bretagne, on le sait, est durement touchée par la crise actuelle. Celle-ci se traduit par la fermeture, ou par des licenciements, dans des petites et moyennes entreprises dont le rôle est critique sur des bassins d’emplois très segmentés. Une misère néo-rurale, concentrée dans des bourgs ou des gros villages, liée à la fermeture de l’employeur local, est en train de faire tache d’huile en Bretagne. À ce phénomène, qui dure depuis maintenant deux ans est venu s’ajouter la crise spécifique de la filière agro-alimentaire qui entraîne avec elle une partie de l’agriculture. Ce que l’on appelle la « crise de la filière porcine » est le résultat d’un dumping sauvage pratiqué par l’Allemagne abritée derrière l’Euro. Ce dumping est en train de ravager la Bretagne. On le voit avec les problèmes des abattoirs, de sociétés comme Doux et Gad. Ces faillites, et ces fermetures viennent ajouter la misère à la misère ; très souvent c’est un couple et non seulement la femme ou l’homme qui sont employés sans ces entreprises. La fermeture d’un site, souvent l’unique employeur du canton, est une véritable condamnation à mort.

    Enfin, goutte d’eau ultime, nous avons l’écotaxe, un impôt fondé sur des principes justes mais tellement mal ficelé qu’il pénalise en premier lieu les producteurs locaux au profit d’un transport autoroutier. De plus, des primeurs qui sont produits à 300-km de Paris vont être plus taxés que des salades ou autres légumes débarquant de l’autre bout du monde par avion à Roissy. C’est bien là toute l’aberration d’un impôt dont la mise en place a été livrée au jeu des lobbys européens et à l’inconséquence de hauts fonctionnaires méconnaissants les réalités locales.

    Telles sont les raisons de la révolte qui, après avoir couvée pendant de longs mois, est en train d’exploser en Bretagne. Face à cette révolte, les mesures annoncées par le gouvernement ne sont même pas de l’ordre du dérisoire ; elles sont une véritable insulte à ces milliers de personnes que la politique gouvernementale jette dans la rue et sur les routes, et où elles ne trouvent en face que les CRS et la répression.

    Pourtant des solutions sont à la portée de la main du gouvernement. La première d’entre-elle est, bien entendu, la dissolution de zone Euro suivie d’une dévaluation qui seule peut redonner sa compétitivité à l’industrie et à l’économie française. Cette dévaluation rendra inutiles les abattements d’impôts qui sont aujourd’hui nécessaires à la survie de nombreuses entreprises. Sur les 70 milliards que représentent ces diverses « niches fiscales », il devrait être ainsi possible d’en supprimer 30 milliards au moins. Ce gain fiscal important (1,5% du PIB) permettra de réduire le montant d’autres impôts.

    Une seconde solution est, bien entendu, une refonte de l’écotaxe afin d’en faire un mécanisme protecteur des productions locales face aux productions à longues distances. Il est insensé que des produits venant de plusieurs milliers de kilomètres payent moins que d’autres qui sont fait quasiment à la porte des consommateurs.

    Faute de comprendre l’ampleur du désespoir et la profondeur de la révolte, ce gouvernement et ce Président, dont la popularité est au plus bas et dont la légitimité est aujourd’hui clairement en cause, pourraient bien se réveiller avec une France soulevée contre eux.

    Jacques Sapir (RussEurope, 27 octobre 2013)

    Notes :

    [1] Porchnev B., « Les buts et les revendications des paysans lors de la révolte bretonne de 1675 », paru dans Les Bonnets rouges, Union Générale d’Éditions (collection 10/18), Paris, 1975

    [2] Croix A., article « Bonnets rouges » in Dictionnaire du patrimoine breton (sous la direction d’Alain Croix et Jean-Yves Veillard), Éditions Apogée, 2000, p. 152

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  • Unir la gauche et la droite anti-Euro ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Jacques Sapir au site italien L'Antidiplomatico et disponible en traduction sur son site RussEurope.

     

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    Unir la gauche et la droite anti-Euro

    1. Monsieur le Professeur, vous avez été parmi les premiers économistes européens à mettre en évidence les dommages produits par l’euro et à en demander sa fin. Dans une de vos dernières analyses vous avez écrit que c’est désormais une fin inévitable. Selon vous, combien de temps passera-t-il encore avant que cela n’arrive et de quel pays partira l’initiative ?

    Il faut bien distinguer ici deux problèmes. Le premier est celui de l’analyse de la situation économique que l’Euro a créée et de ses conséquences. Nous voyons depuis maintenant près de 13 ans que l’Euro non seulement n’a pas induit de convergences macroéconomiques mais qu’il a au contraire exacerbé les divergences. Je l’ai dit à plusieurs reprises, et désormais, cette position fait consensus chez les économistes. Nous voyons aussi que l’Euro est un énorme frein à la croissance pour la majorité des pays qui l’ont adopté, sauf, bien entendu, l’Allemagne. Nous voyons enfin que l’Euro aggrave les déficits, tant en interne que les déficits extérieurs, et qu’il conduit à un endettement toujours plus grand des pays qui sont entrés dans Union Économique et Monétaire. Tout ceci est copieusement documenté par de très nombreux auteurs. J’en déduit que l’Euro ne pouvant fonctionner que dans une spirale d’appauvrissement pour de très nombreux pays, il est condamné. Mais, ici, nous avons un deuxième problème, celui des conditions qui mettront fin à l’Euro. Ces conditions peuvent être une crise catastrophique qui prenne naissance sur le marché obligataire. Pour l’instant, de ce point de vue, la situation est stabilisée par la Banque Centrale Européenne. Mais, la crédibilité de cette dernière tient beaucoup à ce qu’elle n’est pas testée. Un jour ou l’autre les marchés vont tester la résolution de la BCE, et ce jour-là M. Mario Draghi va se retrouver fort dépourvu. Ces conditions peuvent aussi provenir des tensions politiques croissantes que l’Euro provoque tant entre les pays membres de l’UEM qu’au sein de ces pays où les forces anti-européennes prennent aujourd’hui de l’ampleur. Elles peuvent à un moment confronter les acteurs politiques avec la nécessité de dissoudre la zone Euro ou de quitter l’Euro.
    J’ai, personnellement, surestimé la rapidité des évolutions financières, sur la base de ce que nous avions connus en 2008-2009. Mais ceci ne change rien à l’analyse de fond.

    2. Sur votre blog, vous avez fait allusion à un retour possible au SME après une éventuelle dissolution de la zone Euro. Quelle est selon vous, la meilleure stratégie pour sortir de l’Euro pour les pays de l’Europe méridionale ?

    Un retour au SME implique que chaque pays retrouve sa monnaie nationale. La question de la stratégie est ici centrale. Les pays d’Europe du Sud ont le choix entre prendre une décision de sortie isolément ou demander la dissolution de la zone Euro. Si certains pays, comme l’Italie, la France et l’Espagne disaient lors d’un conseil ECOFIN qu’ils sont prêts à quitter l’Euro mais qu’il vaut mieux le dissoudre, compte tenu de l’attachement des Allemands pour le Deutsch Mark, la solution de la dissolution serait rapidement acceptée. Elle serait de loin la meilleure car étant prise de manière collective elle apparaîtrait comme une décision « européenne ». La fin de l’UEM n’impliquerait pas la fin de l’Union Européenne ni celle d’une coopération sur les questions monétaires entre les pays concernés. Néanmoins, cette solution est aussi la moins probable à l’heure actuelle. Une sortie isolée d’un pays est aujourd’hui la solution la plus probable. Elle entraînera à terme (6 mois probablement) l’éclatement de la zone Euro. Mais le contexte politique sera bien plus conflictuel.

    3. Quelle est, selon vous, la part de responsabilité des partis socialistes européens dans la crise actuelle et quelles forces politiques considérez-vous capables d’effectuer un changement ?

    La responsabilité des partis socialistes européens est écrasante. Elle est tout d’abord directe : ces partis ont capitulé sans condition devant les exigences de la finance et du capital ; ils ont imposé des politiques austéritaires inouïes à leurs populations et ils portent de ce fait une large responsabilité dans la stagnation économique que nous connaissons. Mais il y a aussi une responsabilité indirecte. En prétendant qu’il n’y a pas d’autres solutions que l’austérité, et proclamant le « dogme » de l’Euro, en agitant des catastrophes hypothétiques en cas d’une « sortie » de l’Euro ces partis socialistes ont construit un discours politique qui bloque la situation et qui fait partie intégrante de la crise. C’est pourquoi il ne pourra y avoir de sortie de crise que par la destruction de ces partis, leur éclatement, et des recompositions politiques importantes. Nous sommes en train d’assister à cela en France et en Grèce.
    Aujourd’hui, il faut unir les forces tant de gauche que de droite qui ont compris le danger que représentait l’Euro, non pas dans un seul parti mais dans une alliance qui sera capable de porter une politique de rupture.

    4. Vous considérez la France comme un pays de l’Europe méridionale ou d’Europe du Nord ? En fonction de sa position, quels sont les risques que votre pays encourra en 2014 ?

    Très clairement, pour moi, la France est un pays d’Europe Méridionale. Elle l’est si l’on regarde les caractéristiques tant structurelles que conjoncturelles de l’économie et qu’on les compare à celles de l’économie italienne par exemple. La France est aussi culturellement bien plus proche de l’Europe méridionale que de l’Europe du Nord. De ce fait, elle est la plus exposée aux conséquences conjuguées des politiques d’austérité menées en Italie et en Espagne. Tant que ces trois pays resteront dans la zone Euro ils sont condamnés à être dans une concurrence féroce les uns contre les autres. Par contre, dès qu’ils auront retrouvé leurs monnaies nationales, ils pourront retrouver des marges de manœuvre importante.

    5. Pour conclure, comment jugez-vous les vicissitudes de la politique italienne depuis novembre 2011 quand Mario Monti a commencé à imposer les mesures d’austérité de L’Europe ?

    La politique de Mario Monti a consisté à chercher à obtenir des résultats à très court terme sans se préoccuper du long terme. Il a bloqué les paiements qui étaient dus par l’État aux entreprises, il a laissé le crédit s’effondrer et l’investissement se contracter, ce qui condamne à moyen terme l’économie italienne. C’est le contraire d’une politique d’ »expert ». La réputation de « spécialiste » qu’il s’est construit est parfaitement usurpée. Il s’est conduit comme l’un de ces politiciens de bas étage dont le nom a disparu dans les poubelles de l’histoire.

    Jacques Sapir (RussEurope, 11 octobre 2013)

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  • La victoire de la Russie...

    Nous vous livrons ci-dessous l'excellente analyse de Jacques Sapir, cueillie sur son blog RussEurope et consacrée à la victoire diplomatique de la Russie dans l'affaire syrienne...

     

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    La victoire de la Russie

    Le vote par le Conseil de sécurité des Nations Unies, dans la nuit de vendredi 27 au samedi 28 septembre de la résolution sur les armes chimiques en Syrie, co-présentée par la Russie et les Etats-Unis, a été un moment important dans la reconstruction d’un ordre international. Ce vote, obtenu à l’unanimité des 15 membres du Conseil de sécurité, présente plusieurs points qui appellent des commentaires :

    • (i)            Il fait obligation à toutes les parties en présence en Syrie de remettre les armes chimiques qu’elles détiennent aux Nations Unies à fin de destruction. Il enjoint à toutes les parties en présence de cesser la production ou le transfert de ces armes.
    • (ii)           Il réaffirme solennellement que la prolifération des armes de destruction massive est une menace pour la paix et la sécurité.
    • (iii)         Il réaffirme la souveraineté, l’indépendance et l’intégrité territoriale de la Syrie.
    • (iv)         Il précise qu’en cas de violation par l’une des parties de l’accord, le « chapitre VII » de la charte s’appliquera, soit qu’il y aura une nouvelle réunion du Conseil de sécurité et qu’il faudra un nouveau vote avant l’engagement de la force armée.

    Ce vote est incontestablement une victoire pour la Russie, comme le soulignent tous les observateurs. Toutes les parties impliquées dans la crise Syrienne, à commencer par la France et les Etats-Unis, ont dû accepter de se plier à la légalité des Nations Unies. Il ne peut, dans ces conditions, y avoir de frappes «décidées unilatéralement. Cette victoire de la Russie est aussi, et surtout, une victoire du Droit International. Mais, c’est aussi une victoire pour la Russie car la résolution reconnaît le gouvernement légal de la Syrie comme son interlocuteur et le désigne comme tel dans la tenue d’une conférence de paix qui doit se tenir à Genève. Dès lors, il ne saurait y avoir de préalable, et en particulier le départ de Bachar el-Assad. De fait, les Etats-Unis et la France ont été isolés, non seulement face à la Russie mais aussi face aux « BRICS » et à une grande majorité de pays, et ont dû accepter la logique de la position russe.

    Cette victoire de la Russie est historique. Elle signe tant la cohérence de sa politique étrangère, mise en œuvre par son Président Vladimir Poutine et par son Ministre des affaires étrangères M. Serguey Lavrov et qui a fait de la défense de la légalité internationale sa pierre angulaire, que le changement de rapport de force international. Mais, cette victoire confère de nouvelles responsabilités à la Russie. Désormais on attendra d’elle non pas tant une position réactive qu’une position pro-active sur les différentes crises internationales.

    Cette victoire de la Russie doit aussi être mise en parallèle avec l’effacement de l’Europe et l’échec de la France. Cet échec est humiliant. La France s’est retrouvée isolée, et n’a pas été partie aux négociations de Genève entre la Russie et les Etats-Unis, négociations qui ont rendu possible le vote de cette résolution. Cet échec est celui, en profondeur, de la politique étrangère suivie par notre pays. Échec qui est le prix de l’incohérence : comment concilier l’action au Mali au début de cette année (dont on oublie trop vite qu’elle a été rendue possible par la mise à la disposition d’avions-cargos russes pour assurer la logistique) avec la position sur la Syrie. Échec qui est le prix d’une absence de doctrine, ou plus précisément de la montée du moralisme à la place d’une pensée politique réelle. Échec, enfin, dans la capacité à unir l’Union Européenne sur nos positions. Jamais l’Union Européenne n’est apparue autant divisée et sans position dans l’arène internationale. La France à cru beaucoup sacrifier à la construction européenne dans l’espoir qu’elle en tirerait avantage sur le plan international et que sa position en ressortirait renforcée. Elle doit aujourd’hui déchanter. Les sacrifices de souveraineté n’ont pas abouti à la constitution d’une position unifiée de l’Union Européenne. Ils ont par contre redonné une légitimité à l’Allemagne comme grande puissance.

    De cet échec, il faudra impérativement en tirer les leçons et faire le bilan de vingt années de « construction européenne ». Mais il faut aussi que M. Laurent Fabius tire personnellement le bilan du vote de cette nuit au Conseil de Sécurité, au vu de son activité et de son activisme des mois derniers, et qu’il assume sa responsabilité dans cet échec en démissionnant.

    Jacques Sapir (RussEurope, 28 septembre 2013)

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  • Sortir de l'Euro pour sortir de la crise ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de l'économiste Jacques Sapir, cueilli sur Causeur et consacré à la sortie de l'euro comme mesure nécessaire à la sortie de la crise...

     

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    Pour sortir de la crise, sortons de l'euro

    Depuis la fin du printemps, un concert de « bonnes nouvelles » nous vient des pays d’Europe du Sud. La croissance reviendrait au Portugal et en Espagne, et même en Grèce. Les taux se maintiennent à un niveau considéré comme « raisonnable ». En bref, la crise de la zone Euro serait derrière nous. Pourtant, à mieux y regarder, on peut sérieusement douter de la réalité de ces affirmations.

    Sommes-nous sortis de la Crise ?

    Il y a beaucoup de manipulations, mais un peu de vérité dans ces affirmations. Commençons par le peu de vérité qu’elles contiennent. Oui, la crise est en train d’atteindre un plancher. C’est évident en Espagne où le chômage semble désormais stabilisé, quoiqu’à un niveau très élevé (25% de la population active). La crise ne semble plus s’aggraver ces derniers mois, mais ceci est loin d’être équivalent avec une sortie de crise. Ajoutons que des nuages plus que noirs s’accumulent à l’horizon : le crédit est toujours en train de se contracter (en particulier en Italie et en France), l’investissement se réduit toujours (et avec lui les perspectives de croissance future). Rien ne permet de dire que les pays d’Europe du Sud vont trouver dans les prochains mois le ressort d’une croissance leur permettant d’effacer la crise qu’ils connaissent. La perspective d’une nouvelle crise politique en Italie, venant s’ajouter aux difficultés économiques (notamment la montée des impayés dans le bilan des banques, indicateur très sûr d’une économie fragile), est une forte probabilité.

    On peut d’ailleurs estimer que l’amélioration de la balance commerciale dans ce pays est liée à la chute des importations et non à une hausse des exportations. Compte tenu de l’importance de l’économie italienne, qui est la troisième économie de la zone Euro, il est donc clair que la zone Euro est loin, très loin, d’être tirée d’affaires.

    Au mieux, la crise va durer au même niveau qu’aujourd’hui. Au pire, et c’est ce que l’on peut craindre quand on regarde l’évolution du crédit et de l’investissement, après cette pause provisoire, les résultats devraient recommencer à se dégrader dès la seconde moitié de 2014. D’ores et déjà, il est clair qu’il faudra un nouveau plan de sauvetage pour la Grèce d’ici la fin de 2013.

    Ceci nous conduit aux manipulations, largement évidentes dans nombre de médias. On ne parle plus que de la « reprise » alors que l’ensemble des indicateurs reste très inquiétant. Il y a un consensus dans une partie de la presse, essentiellement pour des raisons politiques, qui conduit à proclamer ce retour à la croissance alors que tout le dément. On a eu un exemple de ces pratiques à propos des statistiques du chômage en France. Ceci est instructif, tant quant à l’état de certains médias en France que du point de vue plus général de l’attitude des élites sur ce problème. Alors que l’on continue de discuter de la crise de l’euro en Allemagne, en Italie et en Espagne, le thème semble avoir disparu en France.

    La crise en perspective.

    La zone Euro a souffert de plusieurs maux : l’absence de flux financiers massifs pour égaliser les structures économiques des pays membres ; une Banque Centrale indépendante calée sur une politique inopérante ; et une politique de déflation salariale initiée par l’Allemagne, s’apparentant à une politique de « passager clandestin »– aussi qualifiée « d’opportuniste » ou de « non-coopérative » – qui a exacerbé les tendances préexistantes aux évolutions inégales des salaires et de la productivité.

    Il faut ici rappeler que la crise de la zone Euro ne date pas des années 2010-2011, mais qu’elle a des racines bien plus anciennes. L’introduction de l’Euro impliquait aussi une politique monétaire unique pour les pays de la zone. Or, tant les conjonctures économiques que les déterminants structurels de l’inflation –les problèmes de répartition des revenus, mais aussi la présence de chaînes logistiques plus ou moins sensibles à des hausses de prix susceptibles de se reporter – entraînent des taux d’inflation structurelle différents selon les pays. Cette situation résulte de la présence de rigidités importantes dans l’économie, qui invalident la thèse d’une « neutralité » de la monnaie.

    Cependant, dans le cadre d’une monnaie unique, les divergences d’inflation ne peuvent être trop importantes en raison des problèmes de compétitivité interne à la zone. Un certain nombre de pays ont alors dû avoir une inflation inférieure à leur niveau structurel. Cela les a, par suite, conduits à avoir un taux de croissance inférieur à leur taux de croissance optimal (Italie, Portugal). De fait, ces pays ont perdu sur les deux tableaux : en compétitivité et en niveau de croissance.

    Si l’économie européenne va de langueur en récession depuis 2000, c’est bien à cause de l’Euro. Le fait que l’Allemagne ait tiré son épingle du jeu confirme cela, tant en raison des avantages comparatifs spécifiques de ce pays que de la politique qui y a été menée depuis 2002 (les « réformes » Harz-IV). L’Euro est au cœur du problème de l’Europe. Il condamne la majorité des pays l’ayant adopté à la récession ou à la crise, comme en Europe du Sud. L’Allemagne a « exporté » vers ces autres pays entre 4 et 5 millions de chômeurs.

    L’option d’un fédéralisme européen, outre les problèmes politiques qu’elle introduit, se heurte à l’ampleur des flux de transferts que l’Allemagne devrait consentir au bénéfice des pays de l’Europe du Sud. L’Allemagne supporterait en effet 90% du financement de la somme de ces transferts nets, soit entre 220 et 232 milliards d’euros par an (ce qui équivaut à 2200 à 2320 milliards sur dix ans), entre 8% et 9% de son PIB. D’autres estimations donnent des niveaux encore plus élevés, atteignant 12,7% du PIB. Il convient donc d’en tirer toutes les conséquences : le fédéralisme n’apparait pas comme une option réaliste pour les pays de l’Europe du Nord et en premier lieu pour l’Allemagne. Il est sans objet de la présenter comme une possible solution.

    La dissolution, seul horizon raisonnable ?

    L’ampleur de la récession qui frappe de nombreux pays annonce un retour de la crise. La solvabilité des États n’est plus garantie. L’effondrement des ressources fiscales dans de nombreux pays constitue un accélérateur de la crise. Cette situation témoigne bien de la présence de défauts structurels dans la conception et dans la mise en œuvre de la monnaie unique. Ces derniers, trop longtemps niés ou minimisés, sont aujourd’hui en passe d’être reconnus

    Une dissolution de la zone Euro ne serait pas une « catastrophe » comme on le prétend souvent, mais au contraire une solution salvatrice pour l’Europe du Sud et la France. C’est ce que montre l’étude « Les Scénarii de Dissolution de l’Euro », publiée au début du mois de septembre. On peut y lire, suivant les différentes hypothèses étudiées, non seulement l’effet très bénéfique des dévaluations sur l’économie française, mais aussi sur celles des pays aujourd’hui ravagés par la crise, comme la Grèce, le Portugal ou l’Espagne. Bien entendu, suivant les hypothèses retenues, à la fois sur le caractère plus ou moins coopératif de cette dissolution mais aussi sur la politique économique suivie, les estimations de la croissance divergent. Au pire, il faut s’attendre à une croissance cumulée de 8% la troisième année après la fin de l’Euro et au mieux une croissance de 20%. Pour l’Europe du Sud, la croissance cumulée est en moyenne de 6% pour l’Espagne, de 11% pour le Portugal et de 15% pour la Grèce dans l’hypothèse la plus défavorable pour ces pays. Une première leçon s’impose alors : la dissolution de la zone Euro ramènerait la croissance dans TOUS les pays d’Europe du Sud et provoquerait une baisse massive et rapide du chômage. Pour la France, on peut estimer la baisse du nombre de chômeurs de 1,0 à 2,5 millions en trois ans. Par ailleurs, cela rétablirait l’équilibre des régimes de retraites et de protection sociale. Dans le cas de la France, ce retour à l’équilibre serait très rapide (en deux ans). Il aurait des effets importants sur les anticipations des ménages dont l’horizon serait dégagé des inquiétudes que font peser des réformes à répétition. La consommation augmenterait, et avec elle la croissance, même si on ne peut estimer cet effet. Cette dissolution redonnerait à l’Europe du Sud sa vitalité économique, mais serait aussi profitable à l’Allemagne, car une Europe du Sud en expansion continuerait de commercer avec son voisin du nord après un réajustement des compétitivités.

    Les inconvénients seraient très limités. Compte tenu des taxes, l’impact d’une dévaluation de 25% par rapport au Dollar sur les prix des carburants ne provoquerait qu’une hausse de 6% à 8% du produit « à la pompe ». L’Euro disparu, les dettes des différents États seraient re-libellées en monnaie nationale.

    Une telle politique imposerait aussi des contrôles des capitaux dans chaque pays. Notons que c’est déjà le cas à Chypre ! Ces contrôles, outre qu’ils contribueraient à définanciariser ces économies, limiteraient considérablement la spéculation et permettraient aux Banques Centrales de viser des objectifs de parité. Une fois ces parités atteintes, un système de fluctuations coordonnées des monnaies, comme du temps de l’ECU, pourrait être mis en place. Historiquement, ce qui a sonné le glas de ce système a été la spéculation monétaire. Celle-ci supprimée, ou fortement réduite, le système pourrait à nouveau fonctionner.

    De la « monnaie unique » à la « monnaie commune » ?

    Cette idée attire un certain nombre de personnalités politiques. Et elle est loin d’être absurde, bien au contraire. En fait, une monnaie commune aurait dû être adoptée dès le début.

    De quoi s’agit-il donc ? On peut imaginer que le système monétaire européen reconstitué que l’on aurait à la suite de la dissolution de l’Euro débouche sur une monnaie commune venant s’ajouter aux monnaies existantes, qui serait utilisée pour l’ensemble des transactions (biens et services mais aussi investissements) avec les autres pays.

    Cette dissolution de la zone Euro, si elle résulte d’un acte concerté de la part des pays membres, devrait donner naissance à un système monétaire européen (SME) chargé de garantir que la nécessaire flexibilité des changes ne tourne pas au chaos. Si un tel système est mis en place, il aurait nécessairement des conséquences importantes sur le système monétaire international.

    Ce système correspondrait en réalité à l’existence d’une monnaie conçue comme une unité de compte venant s’ajouter aux monnaies nationales existantes. Cette situation serait très propice à la résurrection de l’Euro, mais sous la forme d’une monnaie commune

    Ceci donnerait à l’Europe à la fois la flexibilité interne dont elle a besoin et la stabilité vis-à-vis du reste du monde. Un « panier de monnaie » étant intrinsèquement plus stable qu’une monnaie seule, cette monnaie commune pourrait devenir à terme un puissant instrument de réserve, correspondant aux désirs exprimés par les pays émergents des BRICS.

    La dissolution de l’Euro, dans ces conditions, signerait non pas la fin de l’Europe comme on le prétend mais bien au contraire son retour gagnant dans l’économie mondiale, et qui plus est un retour qui profiterait massivement, tant par la croissance que par l’émergence à terme d’un instrument de réserve, aux pays en développement d’Asie et d’Afrique.

    Jacques Sapir (Causeur, 18 septembre 2013)

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  • A la lanterne !...

    Nous reproduisons ci-dessous un excellent point de vue de l'économiste hétérodoxe Jacques Sapir, cueilli sur son site RussEurope et consacré aux illusions et à l'impuissance de François Hollande...

     

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    De Clichy à Trappes, pour finir par la Lanterne

     

    Notre Président s’est donc rendu à Clichy-sous-bois d’où étaient parties les émeutes de 2005. Il eut été plus opportun de se rendre à Trappes, mais le courage politique n’est pas réellement le fort de François Hollande. Notre Président tient un discours optimiste, que ce soit sur la croissance ou sur l’emploi. Mais, son Ministre des Finances, Pierre Moscovici laisse entendre que le déficit budgétaire va déraper et atteindre autour de 4% cette année, tandis que les chiffres de croissance sont constamment révisés à la baisse : de +0,8% à -0,1% pour cette année, et de +1,2% à +0,6% pour 2014. Les chiffres ne sont pas le fort de François Hollande. Notre Président annonce la création de près de 100 000 emplois d’avenir d’ici à la fin de l’année 2013. Mais, sur le terrain, le dispositif ne se met en place qu’avec les plus extrêmes difficultés. La réalité n’est pas le fort de François Hollande. Et, à vrai dire, on ne sait pas où est le fort de notre Président (si ce n’est à Brégançon, mais c’est une autre histoire).

    I. Vous avez dit amélioration?

    Mesure-t-il seulement ce qui est en train de se passer dans ce pays, alors que ses conseillers se gargarisent des fameux « bons résultats » ? On sait ce qu’il en est. Le processus de chute dans la crise se ralentit. Rien de plus normal, les économies ne peuvent ainsi disparaître. Mais, ce processus de ralentissement, voire de stagnation de la dégradation ne signifie nullement le retour à une véritable croissance. En Espagne, la stabilisation du chômage est due, pour l’essentiel, aux emplois saisonniers. La Grèce connaît une timide amélioration de sa fréquentation touristique, mais elle le doit beaucoup aux problèmes politiques que connaissent la Turquie et la Tunisie. En fait, ces « bons résultats » ne sont que des faux-semblants. La zone Euro est en crise pour longtemps, et rien ne laisse espérer une sortie de cette dernière à court terme. Le poids des dettes souveraines continue de s’alourdir et Mario Draghi, et avec lui la BCE, va connaître son heure de vérité quand il lui faudra activer les mécanismes de rachat des dettes. En fait, cette heure de vérité pourrait bien sonner plus tôt que prévue. La Cour Constitutionnel allemande doit statuer sur la légalité des OMT, et tout laisse à penser qu’elle va les déclarer inconstitutionnels.

    L’Allemagne pourrait bien, d’ailleurs, être le cauchemar de François Hollande. Il mettait l’an dernier tous ses espoirs dans un changement de majorité dans ce pays. Or, tout laisse à penser que Mme Merkel sera reconduite dans ses fonctions, et avec elle cette politique allemande d’exploitation éhontée de ses voisins qui accélère la crise inévitable de l’Euro. Mais un cauchemar plus proche menace le Président. L’Italie risque d’être secouée par les conséquences de la condamnation de Silvio Berlusconi. Que l’on ne s’y trompe pas. L’auteur de ces lignes n’a guère de sympathie ni d’estime pour l’homme, un affairiste issu de l’entourage du socialiste Bettino Craxi qui coula sous les scandales avant de s’enfuir chez Kadhafi, aux pratiques à l’évidence délictueuses et à la moralité plus que douteuse. Mais l’homme est une chose et la réalité politique en est une autre. La fragile alliance Gauche-Droite constituée pour faire barrage au succès du M5S risque de voler en éclats. De nouvelles élections se profileraient alors.

    Telle est la réalité. Alors François Hollande s’adapte, négocie, finasse. Il réduit le budget des forces armées en deçà du nécessaire au maintien d’une défense nationale indépendante, dont il a pourtant démontré l’absolue nécessité avec l’intervention au Mali. Il augmente subrepticement les « recettes de poches » de l’État avec une hausse des frais de mutation (et cela alors qu’il prétend relancer le marché de l’immobilier). Il coupe dans les dépenses, y compris les plus utiles, y compris avec la suppression des aides accordées à l’apprentissage, alors que cette voie est souvent une véritable solution pour des jeunes déscolarisés.

    II. Une lente et mortelle dégradation

    Mais, adaptation ou finasserie n’empêchent pas notre pays, notre « bien commun », de se dégrader. L’expression d’accident « technologique », qu’avaient créée des collègues russes, s’applique désormais à la France, comme on a pu le voir avec l’accident tragique de Brétigny. Et c’est un véritable miracle que cet accident ait eu lieu en été. Dans le cours de l’année ce serait par dizaines que l’on compterait les morts. Notre pays se dégrade aussi moralement. Toujours à Brétigny, les incidents, les vols des victimes, qui se sont produits – et que le gouvernement et les autorités avaient commencé à nier – en sont la preuve. Certes, et c’est important, ce tragique accident a aussi été l’occasion de manifestations de courage et de solidarité. Il n’y a pas eu que des voleurs et des caillasseurs à Brétigny, heureusement et il faut s’en souvenir. Mais il y en a eu aussi. Et cela est le symptôme d’une profonde dégradation morale du pays. Un autre signe, plus subtil, de cette dégradation réside dans le concert des « bonnes âmes » qui s’est empressé d’affirmer de manière péremptoire qu’il ne s’était rien passé à Brétigny. Le déni de réalité devient alors une ligne politique. Pourtant dire les choses, les dire de manière honnête, en reconnaissant ce qu’il y eut de bon mais aussi de détestable, n’est en rien un stigmatisation des habitants de cette ville des bords de l’Orge ni de ceux des quartiers. C’est simplement reconnaître que l’anomie fait de terribles progrès dans notre société.

    Dire qu’une personne est malade n’est pas la stigmatiser. Mais il faut identifier les causes de sa maladie, et pour cela la décrire, si l’on veut la soigner. Plus encore que les ruptures techniques (qu’il faut préférer au terme d’accident ou de catastrophe « technologique ») imputables au sous-investissement chronique dont souffrent nombre de nos infrastructures depuis maintenant une vingtaine d’années, la dégradation morale que révèle cette montée de l’anomie est un problème tragique. Elle ne peut se comprendre que si l’on conçoit que la socialisation se fait, en priorité, sur le lieu de travail et dans les cadres qui en sont issus. Le chômage de masse laisse une partie de la population hors de tout cadre de socialisation, enfermée entre une télévision qui ne lui donne comme modèle que des trajectoires individuelles en réalité inaccessibles et une réalité quotidienne qui la ramène aux réalités de sa misère. Dès lors, l’individualisme narcissique qui est en réalité l’idéologie du néo-libéralisme tourne à vide et se transforme en anomie. Le seul remède, même si la formulation apparaît autoritaire, est une « mise au travail » qui permettra de recréer du lien social.

    On en revient ici à notre Président, à ses rêves et à ses illusions. Il est clair qu’il ne comprend pas l’état de dégradation, tant matériel que moral de notre société, qui est aussi la sienne. Il croit qu’en s’abstenant de prendre des vacances, il va reprendre la main. Ce n’est même plus du niveau de l’illusion. Nous en sommes à celui d’une communication qui tourne à vide et qui contribue en fait à le décrédibiliser encore plus. Il ne saisit pas que sa seule chance serait de créer massivement des emplois, non pas 100 000 emplois aidés, mais de 500 000 à 600 000 emplois, et bien réels ceux-ci, par an pendant trois ans. Mais, cette chance est en train de passer elle aussi. Pour qu’elle se concrétise, il lui aurait fallu du courage politique et l’empathie, là où, sous le sourire, perce rapidement la suffisance technocratique. Il se révèle ce qu’il est, dur aux faibles, et faible devant les puissants. Pour la saisir, il faudrait sortir de l’Euro qui nous condamne à un lent et tragique étouffement. Cela se fera, mais sans doute pas avec lui et probablement contre lui. Qu’il prenne garde désormais, car il risque bien de finir là où il entend prendre ses congés : à la lanterne !

    Jacques Sapir (RussEurope, 2 août 2013)

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